15/10/2025
Trente-huit ans après l’assassinat lâche et ignoble du capitaine Thomas Isidore Noël Sankara et douze de ses camarades, l’Afrique se souvient. Le vent de la Révolution souffle encore à travers les peuples qui refusent de plier. On a cru le réduire au silence, mais sa voix, forgée dans le courage, la dignité et la justice, continue de gronder dans les consciences libres. Il demeure la boussole des opprimés, le phare des nations en quête d’émancipation.
Dans cette matinée de deuil où l’Afrique toute entière pleure le sacrifice d’un capitaine-poète, d’un rebelle au cœur en feu, je veux que s’élève, parmi les cendres, le chant rugissant de Thomas Sankara. Aujourd’hui, trente-huit années après l’assassinat ignoble qui le priva de son souffle, franchissons les sombres murailles de l’oubli et ramenons au jour la lumière de ses combats, ses rêves dévorés mais semeurs d’espérance pour les peuples pillés.
Il y avait, dans ses rêves, la soif d’une révolution radicale, la rupture complète avec l’ancien ordre ! Et Sankara lança l’offensive avec un volontarisme fou, une rage d’émancipation, un amour des humbles. Il changea le nom du pays, de Haute Volta à Burkina Faso, pays des hommes intègres, pour couper les chaînes de la mémoire coloniale et imposer la dignité. Il planta plus de dix millions d’arbres pour lutter contre la désertification du Sahel, défiant la nature que l’on accroche aux insignes du pillage. Il fit vacciner plus de deux millions et demi d’enfants contre la méningite, la rougeole, la fièvre jaune, dans ce même souffle où il installait des écoles, des centres de santé, des puits, des barrages, des infrastructures sans recourir à l’aide extérieure.
Il déclencha une campagne d’alphabétisation massive. Quand le pays plafonnait à treize pour cent de taux d’alphabétisme, il le propulsa vers soixante-dix pour cent en quelques années et fit descendre dans la rue le pouvoir, en brisant les privilèges, interdisant les voitures de luxe pour les dignitaires, imposant la Renault 5 comme voiture d’État. Il s’attaqua au ver de la corruption, mit en place les Tribunaux Populaires de la Révolution (TPR) pour juger les détourneurs et les bureaucrates, et fit des Comités de Défense de la Révolution (CDR) le fer de lance de la participation populaire. Il proclama l’interdiction de l’excision, des mariages forcés, arrachant aux traditions patriarcales leurs masques de légitimité. Il déclara l’égalité des sexes, fit entrer les femmes au gouvernement, dans l’armée, dans les champs et sur les chantiers, avec congés de maternité reconnus à tous les niveaux de la chaîne du travail, public comme privé, militaire ou administratif.
Il prêchait l’autosuffisance alimentaire, consommer ce que produit la terre du Faso, et refuser les emprunts du FMI ou les chaînes des bailleurs de fonds. Il exhortait ses pairs africains à rompre les soumissions financières, dénonçait la dette odieuse, appelait la jeunesse à s’armer de savoir, de travail collectif, de conscience de classe. Sur le plan culturel, il érigea des salles de cinéma par secteur, fonda le cinéma Neerwaya pour faire rayonner le FESPACO ; il soutint l’art à travers le SIAO, la voix des opprimés, l’écriture, la musique comme armes de libération.
Sur la scène internationale, il parlait d’une voix qui craquait d’indignation. Il dénonçait l’apartheid en Afrique du Sud, défendait une Palestine libre sans domination sioniste, fustigeait les dictatures africaines complices du néocolonialisme, refusait de plier devant l’Occident. Sa diplomatie était vérité. Il disait à la face des puissants que le Burkina Faso ne plierait pas, qu’il suivrait sa voie, qu’il ne serait pas une colonie indépendante en titre. Il prônait le panafricanisme, l’unité des peuples, et attendait des chefs africains qu’ils cessent d’être des valets de puissances étrangères.
Oui, dans son regard brûlait la lampe de Marx et la flamme de Lénine, mais dans une réalité burkinabè, avec la conviction que le peuple doit reprendre ses forces pour refonder l’ordre. C’était une révolution démocratique et populaire qu’il rêvait, une guerre de libération intérieure. Il savait que l’ennemi était partout, dans les banques internationales, dans les ambassades, dans le silence des élites africaines, dans la misère qu’ils imposaient.
Mais le rêve sankariste eut à affronter les coups de boutoir des valets locaux de l’impérialisme. Ceux-là mêmes qui, tapis dans l’administration, dans les casernes et les salons politiques, œuvraient à briser l’élan populaire. Ils craignaient la fin de leurs privilèges, la perte de leurs maîtres et de leurs rentes. Ils minaient l’œuvre révolutionnaire de l’intérieur, semant la division, alimentant les doutes, infiltrant les structures nées de la Révolution. C’est dans cette gangrène sourde que mûrit la trahison. Sankara, lui, avançait sans compromis, persuadé que l’histoire n’appartient pas aux hésitants. Il savait que la Révolution ne se mendie pas, qu’elle se conquiert au prix du courage et du sang.
Et pourtant, malgré des limites qui n'ont pas manqué, le bilan éclate, le pays est transformé en quatre ans et deux mois. Des villes reliées, des routes, des rails. Chaque village avait sa source d’eau, chaque région son électrification, ses écoles, ses centres de santé. Le peuple sentait que le temps de l’indignité était fini. Sankara allumait les cœurs.
Quand le glaive fratricide du traître Blaise Compaoré frappa, ce n’était pas un homme qu’on tua, mais un avenir qu’on enterrait. Le crime vengeur fut mis en scène par un Caïn africain instruit par l’impérialisme. Mais le sang versé n’est pas perdu, il coule encore en nous, en chaque jeunesse insurgée d’Afrique.
Aujourd’hui, sous la direction de l’héritier spirituel de la Révolution d'août 1983, le capitaine Ibrahim Traoré, porteur de la Révolution Progressiste Populaire (RPP), le Burkina marche à nouveau vers l’indépendance pleine. Ibrahim Traoré (IB) assume ce legs, défie les vestiges de la Françafrique, nationalise là où il le faut, ramène l’économie vers le peuple, réaffirme le refus de l’aide captive. Il suit les traces de Sankara comme un fils de feu. Le mémorial et mausolée inaugurés récemment à Ouagadougou, conçus par l’architecte Francis Kéré en matériaux de terre locale, symbolisent que la mémoire se veut enracinement, lutte et espérance.
En ce jour de douleur, Africaine, Africain, pleure la perte, mais relève-toi. Que l’image du Capitaine soit étincelle dans ton front, que son cri résonne dans ta gorge et que sa vision guide ta marche. Le sol africain saigne mais ce sang féconde le réveil. Ô Afrique, relève-toi, car derrière toi marche Sankara, dans le pas du capitaine Traoré.
Et que dans la fumée de l’histoire nos enfants voient la flamme, et marchent, implacables, libres, debout jusqu’à la victoire.
Par Abou Maco |