30/12/2025
Sans spoiler, il faut déjà dire que le journaliste et ancien ministre Tibou Kamara signe un ouvrage dense et profondément instructif, au point d’avoir failli voler la vedette à l’élection présidentielle de cette fin d’année en Guinée. Un livre grave, parce qu’il renvoie chacun à ses propres postures, à ses pratiques quotidiennes, à ces manœuvres souvent troubles qui se jouent dans les antichambres du pouvoir, du temps du général Lansana Conté à celui du professeur Alpha Condé, en passant par le capitaine Moussa Dadis Camara et le général Sékouba Konaté.
Acteur engagé et témoin direct de ces séquences de l’histoire politique nationale, l’auteur restitue les faits avec une plume fluide, entraînante et résolument narrative. Le lecteur a le sentiment de vivre les événements au rythme de leur déroulement, tant le récit sait conjuguer précision, souffle et densité. L’écriture, maîtrisée et expressive, donne chair à des scènes souvent connues mais rarement racontées de l’intérieur, avec cette capacité à maintenir l’attention tout en révélant l’envers du décor.
À vrai dire, au lieu de porter le titre actuel (Le coup d'État contre Alpha Condé), l’ouvrage aurait pu s’intituler : "Guinée : ce que vous ignorez des palais de 1984 à 2021". Tout y apparaît, des épreuves de la gouvernance aux "game of thrones", avec des protagonistes clairement identifiés et toujours en vie, libres dès lors de confirmer ou de contester les faits rapportés. Cette démarche répond à une attente profonde dans la société guinéenne, celle de voir les acteurs de l’histoire livrer leur part de vérité de leur vivant, afin que les zones d’ombre puissent être éclaircies et que la mémoire collective se construise sans faux-semblants. Les témoins encore présents peuvent ainsi reconnaître ou réfuter leur implication dans des faits parfois peu honorables, contribuant à une lecture plus juste de la trajectoire commune. C’est aussi ce qui confère à cet ouvrage sa portée et sa gravité, tant la proximité de l’auteur avec les centres de décision, de Lansana Conté à Alpha Condé, ne saurait être contestée.
Chacun tirera de cette lecture les enseignements qui lui parleront. Au-delà des révélations, le livre interroge nos comportements lorsque nous accédons au pouvoir de décision. Il rappelle combien les valeurs d’humanisme et de foi, souvent revendiquées dans la vie sociale ou familiale, s’estompent dès lors que s’installent les logiques de domination et d’influence. Des actes surgissent alors que l’on n’aurait jamais posés dans la simplicité du quotidien. L’ouvrage convoque ainsi notre sens moral et notre capacité de discernement.
Il rappelle aussi que, quelle que soit la hauteur à laquelle se tient le détenteur de l’autorité, le bien et le mal obéissent aux mêmes exigences, qu’il s’agisse de l’exercice du pouvoir ou des relations ordinaires entre les êtres.
En définitive, ce livre mérite d’être lu bien au-delà des frontières guinéennes. Les mécanismes du pouvoir qu’il met en lumière se retrouvent ailleurs sur le continent et au-delà , tant les ressorts humains demeurent semblables.
Pour ma part, journaliste et connaissant l’auteur depuis le début des années quatre-vingt-dix, à travers les contradictions politiques et les jeux d’influence, j’ai reconnu nombre de témoignages et me suis parfois retrouvé, de près ou de loin, dans certaines situations évoquées. Bien que souvent en désaccord avec lui sur des points précis, je reconnais la véracité de nombreux faits impliquant des acteurs politiques, institutionnels ou économiques de l’histoire contemporaine de la Guinée, avec la lucidité que nul ne détient la vérité entière.
Le succès rencontré par l’ouvrage, marqué par l’épuisement rapide du premier tirage, confirme son écho auprès du public. Et ce n’est que le premier tome. Je remercie l’auteur pour l’exemplaire transmis par les éditions Yigui en Guinée, permettant un échange critique et littéraire autour d’un texte qui se distingue par la tenue de la langue, le respect de la grammaire et l’élégance de la syntaxe. Dans l’attente du second volume.
Abdoulaye Sankara |