1/10/2025
L’histoire de ce pays est un vieux tam-tam fêlé. On le frappe depuis des siècles, mais il ne sonne jamais juste. Chaque fois qu’on croit l’avoir apprivoisée, elle se cabre. Chaque fois qu’on tente de la dire, elle se tait. Elle préfère les morts. Elle ne se confie qu’aux fantômes : aux croque-morts devenus orateurs, aux bourreaux reconvertis en historiens.
Ici, les tombeaux parlent mieux que les vivants. Ils murmurent des vérités rapiécées, polies dans la poussière des regrets. Les bourreaux d’hier deviennent les martyrs d’aujourd’hui. Les faussaires se drapent en sages. Les traîtres revêtent la tunique de patriotes tardifs. Dans ce pays, l’Histoire ne récompense pas le courage : elle recycle les lâches.
Et voici qu’un vieux ministre resurgit des coulisses du pouvoir. Il marche comme un griot déchu, et proclame sa vérité en miettes. Il a la voix grave de ceux qui regrettent trop tard, et la plume légère de ceux qui s’excusent sans demander pardon.
Lui qui fut l’homme des arrière-cuisines, des compromis muets, se découvre soudain une passion pour la transparence. Il parle de fraude électorale comme s’il venait de l’apprendre en rêve. Comme s’il n’avait jamais, jadis, plié le cou aux chiffres, tordu les urnes, trafiqué les bulletins pour qu’ils dansent au rythme des puissants. Un ministre qui découvre la fraude après avoir quitté son poste, c’est un pompier qui crie au feu après avoir vendu les allumettes.
Il invoque Moussa Solano - ce mort si commode, cette ombre que l’on blanchit ou que l’on accuse à sa guise. Il parle pour lui, il parle contre lui : qu’importe, l’autre est mort. Et les morts, dans ce pays, sont les meilleurs complices des silences des vivants. Pourquoi parler aux fantômes quand les coupables respirent encore ? Pourquoi accuser un cadavre quand les vrais voleurs se pavanent au soleil ?
Mais pourquoi donc efface-t-il 2010 ? Pourquoi saute-t-il cette marche qui grince ? Pourquoi passe-t-il sous silence la plus spectaculaire des acrobaties électorales que ce pays ait jamais connues ? Un tour de passe-passe si énorme qu’il ne relève plus de la politique, mais du sacrilège contre la vérité. Un premier tour limpide, un verdict clair : Cellou Dalein Diallo, quarante pour cent. Alpha Condé, dix-huit. Puis soudain, miracle statistique : vingt-deux points s’évaporent, et l’arithmétique se plie à la volonté du pouvoir. Le vainqueur devient perdant. Le second devient président. Qui veut écrire l’histoire sans 2010, veut enseigner l’alphabet sans la lettre A.
Et lui ? Il était là . Pas dans les gradins. Pas dans la rue. Au cœur du dispositif. Ministre d’une transition censée garantir la vérité des urnes. Il a vu les ficelles. Il a serré la main des couturiers. Il a validé la parade. Où était sa conscience, ce soir-là ? Où était son courage, quand la vérité saignait sur la table du pouvoir ?
Aujourd’hui, il s’improvise Cassandre. Mais il choisit ses vérités. Il convoque les morts pour épargner les vivants. Il exhume les cadavres pour couvrir son propre silence. Voilà le vrai crime. Un silence au moment du crime vaut mille discours après.
Car nous, nous avons vu. Nous avons entendu. Nous avons compté les voix qu’il a fait disparaître, noté les chiffres qui titubaient dans les bilans officiels. Nous avons vu son nom au bas des décrets, et son ombre dans les couloirs du pouvoir. Il n’était pas témoin : il était rouage. Il ne portait pas seulement la lampe. Parfois, il tenait le couteau.
Et maintenant qu’il n’a plus de rôle, il veut jouer les conteurs. Il veut inscrire ses mensonges dans la mémoire collective, maquiller son repentir en sagesse. Mais il est trop tard pour la grandeur. Trop tard pour la vérité. On ne lave pas ses mains dans les larmes des morts. On ne devient pas sage parce qu’on a survécu à ses crimes.
Un jour viendra le vrai tribunal - pas celui des livres, pas celui des conférences, mais celui des consciences. Ce jour-là , les mots ne suffiront pas. Il faudra montrer les mains. Et certains auront beau les plonger dans l’eau bénite des regrets : elles sentiront toujours l’encre des bulletins falsifiés.
Mais ce jour-là ne sera pas seulement le leur. Ce sera le nôtre. Car un peuple qui ferme les yeux devant le vol de sa voix devient complice de son propre bâillon. Un citoyen qui se tait face à la fraude signe lui-même son exil dans l’ombre. La vérité ne triomphera que si nous la portons ensemble, non pas comme un fardeau, mais comme un drapeau.
Ousmane Boh KABA
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