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Guinée : Quand la Constitution se fait otage d’un homme (Par Mamadou Ismaïla KONATÉ)

1/9/2025

 



Chaque peuple inscrit dans une trajectoire républicaine aspire, tôt ou tard, à se doter d’un texte fondamental qui exprime son identité politique, ses valeurs communes et ses aspirations collectives. La Constitution n’est pas un document ordinaire : elle est le contrat social par excellence, l’armature juridique de l’État et la garantie de ses citoyens. Elle crée les institutions, fixe leurs pouvoirs, établit les contre-pouvoirs et dessine les voies d’alternance. Elle doit, de par sa nature, transcender les ambitions individuelles et protéger le peuple contre toute confiscation de sa souveraineté.

En Guinée, pourtant, le processus constitutionnel en cours semble s’éloigner de cette exigence. Au lieu de constituer un moment de refondation nationale, il donne l’impression de se réduire à une opération politique de légitimation personnelle. Les signaux sont clairs : mobilisation forcée des cadres de l’administration, allégeance exigée des représentants de l’État dans les collectivités, soumission affichée de chefs d’institutions transformés en relais de propagande. La presse, de son côté, ne joue plus son rôle de contre-pouvoir : elle relaie la parole officielle et se ferme aux voix dissonantes, notamment celles des partis politiques suspendus ou menacés.

Cette dérive interroge, car elle réactive un cycle déjà douloureusement connu en Guinée : celui de Constitutions qui ne fondent pas l’État mais consacrent des hommes. Après Sékou Touré, Lansana Conté et Alpha Condé, le pays s’apprête-t-il à inscrire une nouvelle fois son avenir dans le sillage d’une personnalisation du pouvoir, au détriment d’un véritable pacte républicain ?

Un texte fondamental au service de qui ?

Une Constitution n’est pas un texte anodin. Elle est l’acte fondateur d’un ordre politique, la charte qui régit l’organisation de l’État, son fonctionnement et ses institutions. Elle est censée protéger les citoyens contre l’arbitraire, incarner la souveraineté du peuple et transcender les ambitions personnelles.

Or, ce qui se dessine en Guinée, c’est l’inverse : le processus constitutionnel se trouve happé par une logique de légitimation d’un seul homme, celui-là même qui a renversé Alpha Condé au nom d’un sursaut national. Les cadres de l’administration, les représentants de l’État dans les collectivités et les chefs d’institutions sont sommés de manifester une loyauté sans réserve. Le débat public, réduit à une formalité, exclut les voix discordantes, celles des partis politiques suspendus et menacés. La presse, bridée, relaie plus la propagande que le pluralisme.

L’histoire constitutionnelle guinéenne en témoigne : depuis Sékou Touré, les textes fondamentaux ont rarement servi de pactes citoyens. La Constitution de 1958 fut vite réduite à une façade d’un parti unique tout-puissant ; celle de 1990, adoptée sous Lansana Conté, suscita un espoir vite déçu par la manipulation des textes et la prolongation autoritaire du pouvoir ; celle de 2020, sous Alpha Condé, ne fut qu’un habillage pour justifier un troisième mandat. La constante est claire : les Constitutions guinéennes ont souvent été conçues comme des instruments de pouvoir, non comme des garanties démocratiques.

La double faute du putschiste

L’histoire immédiate de la Guinée éclaire la gravité de la situation. Le colonel auteur du coup d’État s’était présenté en 2021 comme un sauveur, promettant de libérer le pays de la confiscation du pouvoir par Alpha Condé et de restaurer l’ordre constitutionnel. Il avait juré qu’il ne briguerait aucun mandat, tirant les leçons de ses prédécesseurs : Moussa Dadis Camara, emporté par les excès sanglants du 28 septembre 2009, et Alpha Condé, qui trahit son héritage d’opposant historique en s’accrochant à un troisième mandat.

Mais aujourd’hui, la tentation est palpable : au lieu de s’effacer pour laisser place à une transition crédible, le putschiste s’installe, s’expose et s’enferme dans la même logique de personnalisation du pouvoir qu’il avait dénoncée. C’est la **double faute** : avoir renversé un président honni sans pour autant permettre au peuple de tourner la page, et vouloir à son tour inscrire son nom dans une Constitution qui devrait appartenir à la nation tout entière.

Quand la presse se tait, la propagande parle

Cette dérive est aggravée par l’absence d’un débat libre. La presse, qui devrait être l’espace du contradictoire, est instrumentalisée. Les micros s’ouvrent aux partisans de la nouvelle Constitution, mais se ferment aux opposants. Les partis politiques suspendus sont menacés, les voix critiques intimidées. La presse devient ainsi l’écho d’une parole officielle, transformant un processus censé être inclusif en une campagne de propagande.

Ce silence imposé est d’autant plus inquiétant que, partout en Afrique de l’Ouest, les transitions militaires cultivent le même mirage : celui d’un pouvoir « provisoire » qui tend à s’éterniser. De Bamako à Ouagadougou, en passant par Niamey, les coups d’État récents ont d’abord promis de restaurer l’ordre démocratique, avant de chercher à inscrire la domination militaire dans la durée, souvent par le biais de Constitutions taillées sur mesure.

Un pays pris en otage

Le résultat est une prise d’otage politique. Le pays, la nation et les Guinéens eux-mêmes se trouvent prisonniers d’une transition qui se prolonge et se dénature. La souveraineté populaire, au lieu d’être réhabilitée, est confisquée. Les institutions, au lieu d’être refondées, sont subordonnées. Et la Constitution, au lieu d’incarner un pacte social, devient un instrument de domination.

La métaphore est cruelle mais juste : les Guinéens finissent par danser au son d’un tam-tam qui sonne faux. Ils applaudissent, parfois par peur, parfois par lassitude, un chef qui, à force de confondre pouvoir de fait et légitimité, risque d’apparaître davantage comme un bourreau que comme un sauveur.

L’avertissement de l’histoire

L’histoire de la Guinée enseigne une vérité dure : chaque fois qu’un pouvoir a voulu confisquer la Constitution pour la mettre au service d’un homme, il a fini par s’effondrer, emportant avec lui l’illusion de stabilité qu’il prétendait garantir. Sékou Touré avait bâti un parti-État, Lansana Conté a prolongé son règne par la manipulation des textes, Alpha Condé a cru pouvoir tordre la loi pour s’offrir un troisième mandat. Tous ont fini par être désavoués, parfois brutalement, par le cours de l’histoire.

Aujourd’hui, le colonel au pouvoir prend le risque de s’inscrire dans la même trajectoire. En voulant inscrire son empreinte dans une Constitution qui devrait appartenir au peuple, il s’expose au même sort que ses prédécesseurs : celui d’être perçu non comme l’artisan d’une refondation, mais comme l’auteur d’une imposture. Car tôt ou tard, la danse s’arrête, et le tam-tam qui sonne faux cesse de séduire. Le peuple, lassé, se détourne de ceux qui ont confondu salut et domination.

La prémonition est claire : si la Constitution devient l’otage d’un homme, elle portera en elle les germes de son rejet. Les Guinéens finiront par réclamer, comme toujours, un texte qui soit enfin le leur, un pacte qu’ils reconnaissent et respectent.

Mais il existe aussi une lueur d’espoir. Car la société civile, les forces vives, la diaspora guinéenne et une jeunesse désormais connectée au monde refusent de se résigner. Leur capacité à se mobiliser, à maintenir vivante l’exigence démocratique et à rappeler que la souveraineté appartient au peuple, reste la meilleure garantie contre la répétition indéfinie du cycle des désillusions. Si cette vigilance se renforce et s’organise, alors la Guinée pourra, tôt ou tard, rompre avec ses impasses et se donner enfin une Constitution de vérité, une Constitution qui fonde l’État plutôt qu’elle ne consacre un homme.

Mamadou Ismaïla KONATÉ
Avocat à la Cour, Barreaux du Mali et de Paris
Arbitre, ancien Garde des Sceaux, ministre de la Justice

 

 
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